Un écrin de beauté au Muséum

La Réserve intégrale du Lauvitel

Elle se situe sur la commune de Bourg d’Oisans sur 700 hectares dans le cœur du parc national. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce milieu, bien que remarquable, n’est pas extraordinaire mais comparable à d’autres sites des Alpes.

L’Etat français en est le propriétaire et confie sa gestion au Parc national des Ecrins (PNE). Ce site a été classé par Décret du Premier ministre en 1995 car c’était un site peu fréquenté par l’homme, il n’y avait pas d’enjeu forestier et plus d’agriculture depuis longtemps. Contrairement aux autres réserves (chasse, ONF, naturelle), dans une réserve intégrale, toute activité humaine est interdite (même la randonnée). C’est un site de recherche scientifique, classé catégorie 1A de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), c’est le plus haut degré de protection d’un site dans le monde. D’ailleurs, il n’y a environ que 300 réserves intégrales classées 1A dans le monde, et le Lauvitel est la seule en France !

Des études scientifiques depuis plus de 20 ans.

L’objectif d’un tel lieu est donc d’étudier l’évolution de ces milieux naturels non  utilisés par l’homme. On peut alors se questionner : « Comment une forêt évolue sans coupe de bois ? », « Comment un alpage se développe sans troupeau ? », « Quels cortèges d’espèces vont être présents et comment ils évoluent sur le long terme ? », « Comment vont évoluer les milieux de montagne et haute montagne en fonction du réchauffement climatique ? », … Et voir les réponses en direct sur le terrain au fil des années.

Ainsi, depuis plus de 20 ans, de nombreuses études scientifiques dans des disciplines variées sont menées et de nombreux protocoles sont suivis sur ce site d’exception par les agents du parc mais aussi par de nombreux scientifiques de  plusieurs pays.

Avoir une liste exhaustive du vivant

Depuis 2013, un énorme travail d’inventaire a été initié au Lauvitel : un ATBI (All Taxa Biodiversity Inventory, ou Inventaire général de la biodiversité en français).

Cette méthode a été mise au point aux Etats Unis dans les années 90. Le parc du Mercantour a lancé son ATBI en 2007 et le PNE l’a suivi six ans plus tard.

Dans les alpages, les névés, les éboulis, les barres rocheuses, le lac, la forêt, …, le but est d’inventorier toutes les espèces présentes (communes comme remarquables) afin d’essayer de s’approcher de l’exhaustivité. Cet inventaire concerne tout le vivant : animaux, lichen, flore, mousse, champignons, etc.

En quatre ans, ils ont découvert quatre nouvelles espèces pour la science (ce sont des espèces inconnues dans le monde, qui n’existaient pas aux yeux de l’homme), et une dizaine de nouvelles espèces en France (qui existaient dans d’autres pays mais qui n’étaient pas connues en France) ! Incroyable non ?

Et ils n’en sont qu’au début, encore énormément de groupes sont à étudier.

Le travail de terrain

Les spécialistes qui viennent de toute l’Europe restent deux jours dans la réserve afin de limiter leur impact. L’ATBI  concerne tous les milieux des 700 hectares. Chaque spécialiste recherche et inventorie son groupe d’espèces et toutes les placettes de relevé sont référencées. La démarche doit être standardisée afin de pouvoir comparer les données dans plusieurs années.

Les spécialistes doivent renseigner les informations suivantes pour chaque individu observé : une étiquette avec la date d’observation ou de récolte, les coordonnées GPS, le type de substrat/support, (roche, prairie, arbre, …), l’exposition (versant est, ouest, …), l’altitude, l’auteur (qui a ramassé l’individu), le déterminateur (si différent de l’auteur), le genre et l’espèce.

Il faut le rappeler, l’objectif est de perturber le moins possible le milieu. Les prélèvements sont donc rares et se font uniquement lorsque la détermination ne peut s’effectuer sur place. Les mammifères, micromammifères (campagnol, mulot, …), ou les oiseaux ne sont pas récoltés. Les mousses ou lichens sont souvent récoltés car ils doivent être déterminés au microscope. Une analyse moléculaire de l’espèce peut être réalisée pour certains champignons.

Les agents du parc quant à eux, coordonnent ce travail, récupèrent toutes ces données et les font remonter à l’INPN (Inventaire national du patrimoine naturel). Ils participent aussi aux relevés de terrain, récupèrent des individus et les transmettent aux spécialistes pour être déterminés. Une fois ce travail réalisé, ils s’assurent de leur mise en collections en les déposant :

• au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) à Paris (notamment pour les nouvelles espèces pour la science afin de conserver ces précieux holotypes),
• au Muséum de Grenoble (pour la plupart ; muséum référent pour les espèces montagnardes),
• au Musée des Confluences à Lyon (surtout pour les champignons pour ne pas séparer les collections car un beau fond est déjà conservé à Lyon),
• ou au Conservatoire botanique national alpin (CBNA) à Gap.

Ils informent également les communes et diffusent ces découvertes via des outils de communication comme cet état des lieux des connaissances au 1^er janvier 2019 

Intérêt de l’acquisition pour le Muséum :

Depuis 2017, de nombreuses coquilles continentales, araignées, fourmis et syrphes collectés sur la réserve ont été déposés au Muséum afin d’être conservées dans de bonnes conditions et de rester ainsi à disposition des chercheurs.

Ces collectes sont parfaitement géo-localisées, bien renseignées et identifiées par des spécialistes ce qui apporte des données de qualité et vérifiées. De plus, il s’agit d’échantillons régionaux provenant de milieux alpins d’exception car non soumis aux activités humaines, particulièrement intéressants compte tenu des thématiques alpines du Muséum.

De nombreuses espèces collectées et déposées appartiennent à des groupes très peu représentés dans les collections du Muséum ce qui permet un enrichissement de ces dernières.

Enfin, trois individus de l’espèce Agyneta alpica (araignée) ont été collectés durant cette campagne, dont un a été déposé au Muséum. Il s'agit de la première découverte en France de cette espèce que l’on croyait endémique des Alpes avant sa première découverte dans les Pyrénées l’an dernier.

L’Intérêt scientifique de cet ensemble est donc incontestable.

Et la suite…

Aujourd’hui, un peu plus de 2200 espèces ont été inventoriées et les agents du parc estiment que plus de 4000 seront à recenser. Le travail ne fait que commencer et le Muséum se réjouit par avance de ces futures découvertes.

Photos du Parc national des Ecrins