Etre berger en 2018 en Matheysine … Entre gestes ancestraux et les « mises à jour » 21ème siècle, comment exerce-t-on aujourd’hui le métier de berger ? Quelques éléments de réponse depuis le Sénépi, avec Sylvain Turc, un homme passionné et passionnant…
Propos recueillis par Aleksandra Bogdanovic-Guillon
Culminant à 1769m, avec ses 1200 ha et ses 20 km de piste, le Sénépi, situé près de La Mure, est le plus grand alpage français accueillant les génisses. Depuis 26 ans, été après été, Sylvain Turc l’aide à rester une pension de rêve pour quelque 800 bêtes. Venu « pour une année, pour essayer », il a été capté par l’esprit des lieux et du métier.
Quelle frustration de ne pas pouvoir partager avec vous tout ce qu’il a pu me dire et montrer le temps de ma brève visite. Alors, voici quelques points marquants et plein d’images !
Photos de l'alpage du Sénépi
Le décor étant planté, plaçons le contexte. Pourquoi envoyer les génisses « en pension » l’été ? Certes, ce n’est pas pour les vacances : ni celles des vaches, et encore moins celles des hommes. La première raison des transhumances est logistique : laisser l’éleveur faucher, préparer l’hivernage et faire des réparations. Deuxièmement : à l’alpage la vache grossit ! « Les génisses gagnent 65 à 80 kg en 120 jours. L’alpage produit donc 80 tonnes – oui, vous avez bien lu : 80 tonnes ! – de viande chaque été. » explique Sylvain. Enfin, l’appétit des vaches est mis à contribution pour entretenir le paysage ! C’est ce qui fait des Signaraux, une belle petite station de ski (photo ci-contre) !
Le travail de Sylvain prend effet mi-mai. Sa première mission consiste à préparer l’alpage, avec l’aide de quelques éleveurs. Ses pensionnaires arrivent vers le 8 juin. « Cette année nous avons 841 bêtes, de 33 éleveurs. Elles arrivent sur 2 jours, sur le quai de débarquement (photo ci-contre) aux Signaraux. Dans la foulée, elles sont vaccinées, pesées et on leur pose la médaille d’identification. » raconte Sylvain.
La prise en main achevée, Sylvain guide et répartit progressivement ses bêtes, en assignant à chaque groupe un territoire de l’alpage pour les 4 mois à venir. Chacun des 120 jours qu’ils passeront ensuite ensemble, Sylvain rendra visite à ses pensionnaires. « Généralement, elles restent dans les zones choisies au début. Mais parfois, elles s’éloignent, en suivant des logiques très particulières. Au début, je pâtissais beaucoup de ces déplacements. Je me heurtais à mon esprit cartésien qui voulait que pour aller droit… et bien on avance tout droit ! Aujourd’hui ça va mieux ! Je connais l’alpage par cœur. Je comprends mieux leur raisonnement. Je crois être plus détendu et moins cartésien. » sourit-il.
Loin de la curiosité, ou de la courtoisie, ces visites effectuées du haut de son 4x4, servent à débusquer la moindre anomalie : boiterie, mamelle enflammée, yeux purulents, blessure, vêlage ou encore chaleur. Car dans tous ces cas-là, Sylvain doit intervenir !
Avoir un veau, c’est naturel. Mais, en avoir un sur l’alpage peut présenter un risque. S’il ne tête pas assez, ou s’il est rejeté, il est en danger. S’il ne tête pas comme il faut, c’est la mère qui risque une mammite. Pour toutes ces raisons, les éleveurs, comme le berger, préfèrent éviter les vêlages sur l’alpage. Mais ça, c’est la théorie !
En pratique, le jour de ma visite, le troupeau qui s’est approché du chalet de l’alpage, comptait un veau ! Si votre rédacteur avait été un bon aide berger, vous auriez pu lire ici le récit d’une capture réussie. Malheureusement, notre tentative pour guider la mère est son petit vers un « piège » où Sylvain pouvait les isoler afin que l’éleveur puisse venir les chercher a échoué. Il allait recommencer le lendemain.
Pour me montrer sa mission, Sylvain m’a fait le privilège de m’embarquer dans sa ronde quotidienne. Alors qu’on s’approchait d’un point d’eau à bord du 4x4, Sylvain a consulté son calepin. « Ici, il nous faut trouver la 8723. » a-t-il annoncé. Pas réellement éclairée par cette annonce qui paraissait fort évidente à ses enfants, qui nous tenaient compagnie, j’ai dû demander les explications. « D’après moi, la vache 8723 a une besniotose, une maladie de la peau. Parfois ces bêtes guérissent. Et parfois leur état se dégrade. Même très vite dans certains cas. C’est pour cela que j’essaie de la voir chaque jour, pour suivre l’évolution de sa maladie. »
Et c’est en recherchant la 8723, que nous avons détecté une génisse en chaleur. Enfin « nous »… Sylvain, bien entendu ! A peine a-t-il arrêté le véhicule devant un groupe qui paissait tranquillement, qu’il s’est écrié : « Mais voilà une chaleur ! » Patient, il m’a expliqué ses indices – la nervosité, les mouvements, les tentatives d’assaut sur les copines – et surtout l’intérêt de cette « trouvaille ».
Parmi les tâches qui lui sont assignées, il y a l’insémination artificielle. A la demande des éleveurs, à lui de s’en charger. « Les chaleurs durent 36 heures. C’est pour cela qu’il faut les repérer vite. C’est aussi pour cela que j’ai tout sur moi. » m’a-t-il expliqué en découvrant la bombonne d’azote liquide, gardant au froid les échantillons de sperme, calée en sécurité à l’arrière du véhicule. Après avoir immobilisé la génisse dans un des nombreux « pièges » disséminés sur l’alpage, il allait procéder à l’insémination artificielle.
« Etre libre. Vivre en adéquation avec la nature. Admirer les paysages. Vivre avec les animaux. Etre polyvalent. Etre totalement responsable. » Voilà les points forts que Sylvain voit dans son métier. « Berger, tu ne peux pas te mentir. Tu es libre. Et tu dois l’assumer. » Visiblement ça lui plaît !
Est-ce alors un métier rêvé ? Même s’il est sous le charme du pastoralisme, Sylvain n’enjolive pas les choses. « Il y a aussi des fantasmes autour de ce métier et de ce style de vie. On enjolive la vie dans la nature. Or elle peut être très rude ! Quand vous êtes seul avec vos bêtes 15 jours dans un brouillard qui ne veut pas se lever, vous commencez à trouver le temps vraiment long ! »
Aime-t-il les évolutions de son métier ? « Mes troupeaux sont de plus en plus délicats à gérer. Les vaches des éleveurs qui ont automatisé des tâches du quotidien – la traite, l’alimentation, le nettoyage – ne voient presque plus l’homme. Arrivées ici, elles sont un peu « sauvages » : elles ne connaissent pas le travail des chiens, n’obéissent pas… Alors je m’adapte, je les appâte avec de la nourriture pour gagner la confiance et leur apprendre à faire autrement, or tout cela prend du temps. » raconte-t-il.
Alors quel « poids » pour ces quelques nuances, sur le tableau très vivant que Sylvain nous dresse de son métier ? Ça me donne envie de « pousser le bouchon ». Je commence avec lui : « Alors si c’était à refaire. » « Je recommencerai ! » Plus de nuance. Plus d’hésitation. Etre berger, c’est une vocation !
Quid de l’image qu’il donne à l’extérieur, entre le rythme ancestral de la journée d’une vache, les mises bas, le 4x4 et l’insémination artificielle ? Etant trop parti-pris désormais, je me tourne vers un bambin qui a passé la journée avec nous. 10 ans. Qu’a-t-il pensé de cette journée ? « Avec une journée comme ça, on apprend plus qu’en une année à l’école ! » Alors Sylvain, entre tes heureuses pensionnaires et un public séduit, il y en a qui sont contents que ton essai d’un an soit devenu une carrière !
PS : Un grand merci à Sylvain Turc pour cette magnifique journée de découverte. Et à tous les autres qui ont fait de notre séjour au Sénépi une journée inoubliable : la famille Turc, le copain des enfants et la joyeuse bande des faucheurs de chardons, venue prêter main forte au berger pour accomplir une autre de ses tâches : l’entretien des pâturages !