Quels sont les effets de la pollution lumineuse sur la biodiversité ? Voilà ce qu’il fallait retenir de la conférence qui a eu lieu au muséum de Grenoble le 9 octobre 2019.
Article réalisé par Alain AMSELEM, conférencier et naturaliste à la LPO isère.
La nuit c'est la moitié de la vie.
La vie sur terre s'est construite depuis 3,5 milliards d'années sur un rythme biologique basé sur l'alternance du jour et de la nuit ce qui fait que la vie est un cycle où la nuit à autant d’importance que le jour.
En une cinquantaine d’années l’homme a bouleversé l’alternance naturelle du jour et de la nuit en développant de manière anarchique et disproportionnée l’éclairage artificiel extérieur. En 10 ans l’éclairage a augmenté de 30 % en France.
En 1958 les astronomes puis au début des années 1980 les médecins, écologues et sociologues demandent un éclairage public durable qui respecte la biodiversité et l’environnement, réponde aux attentes de la population et intègre les enjeux énergétiques.
Le 27 décembre 2018 paraît l’arrêté relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses qui donne une base législative à la protection de la nuit.
La qualité de la lumière émise par les ampoules ou des LED a un impact très fort sur la biodiversité nocturne. Les LED émettent une lumière sur tout le spectre visible (1) et une partie de l’invisible ce qui perturbe l’ensemble de la faune et de la flore dépendante des insectes nocturnes.
En plus de son impact sur la biodiversité nocturne la pollution lumineuse intervient dans d'autres enjeux :
Temporalité : Les espèces nocturnes ont leurs activités principales en début et fin de nuit. L’éclairage durant ces périodes a des effets physiques et physiologiques importants.
Les effets physiques : la lumière crée une barrière infranchissable pour certaines espèces nocturnes lucifuges par exemple des chauves-souris qui désertent leur site d’hibernation, les poissons migrateurs qui ne passent pas sous un pont éclairé. Les rencontres mâle-femelle sont compromises. A l’inverse la lumière attire d’autres espèces (papillons de nuit) ou désorientent les oiseaux migrateurs et les coléoptères nocturnes (Lampyridae).
Voir Figure 10 page 20 : Traduction des principaux aspects du phénomène de pollution lumineuse pour la biodiversité.Source : Sordello,2017b (1).
Les effets physiologiques : chez les mammifères la lumière artificielle provoque des dérèglements endocriniens (hormonaux) qui sont aussi constatés chez l’homme. L’action la plus connue est l’effet négatif de la lumière sur la sécrétion de mélatonine et le rythme circadien.
La mélatonine est une hormone produite par l’organisme de nombreux vertébrés : mammifères (dont l’Homme), oiseaux, reptiles, etc. ... Chez l’homme, l’éclairage artificiel provoque une altération de la sécrétion de la mélatonine entraînant des perturbations du sommeil et de la vigilance.
L’altération du sommeil par un éclairement mal géré entraine aussi une perturbation de la sécrétion des hormones thyroïdiennes (T3 et T4) qui sont synthétisées durant le sommeil et par effet de rétroaction des perturbations sur de nombreuses autres hormones (hormones hypophysaires, hormone de croissance GH, Etc …).
Chez les animaux l’éclairage artificiel provoque des perturbations endocriniennes qui agissent sur des enjeux vitaux comme le sommeil, la pousse du pelage ou des plumes, la mue, l’alimentation, la reproduction, la migration, l’hibernation, etc...
Chez les plantes la pollution lumineuse réduit le succès reproducteur des plantes sur lesquelles les insectes nocturnes viennent se nourrir (= polonisation), ce qui pourrait entraîner, par ricochet, une baisse des ressources alimentaires disponibles pour les insectes diurnes (2).
Depuis quelques années des outils cartographiques, et des données satellitaires (NOOA VIIRS-DNB), des mesures de lumière sur le terrain associées aux inventaires faunistique et floristiques permettent de modéliser l'éclairage d'un territoire pour optimiser l'éclairage en fonction des besoins réels.
Défragmenter la matrice écopaysagère nocturne, augmenter la connexité des espaces et la connectivité écologique pour éviter l’insularisation en créant des corridors noirs, autour de – mais aussi dans – la ville (les deux images ci-dessus sont des simulations). Challéat S. – Laboratoire ThéMA, 2011 (3).
L’économie potentielle pour les collectivités est très importante : l’éclairage public représente à lui seul 42% de la consommation électrique des collectivités locales (en KWh). L’ADEME et EDF estiment entre 30 et 40% la perte d’énergie pour les communes du fait d’une mauvaise qualité, d’une surpuissance des sources ou de la vétusté des installations dédiées à l’éclairage public.
Avec de meilleurs usages et lors de rénovations plus adaptées aux besoins de l'éclairage extérieur, plus de 50% d'économies d'énergie peuvent être réalisés. Ces économies ont une action directe sur la diminution de la production d'énergie (réchauffement climatique) et la réduction des déchets (matériel d'éclairage).
Dans la commune de Boisset Saint Priest (Loire) et les communes voisines la rénovation de l'éclairage public a permis une économie de 3€ par habitant et par an. De 46 200 kWh/an en 2009 la consommation a chuté à 10 000 kWh/an en 2015. Les sommes économisées ont été investies dans l’isolation des bâtiments publics (écoles, bibliothèques, salle polyvalente, …). Les économies de chauffage réalisées grâce à l'isolation sont à leur tour investies dans d’autres isolations et créent ainsi un cercle vertueux.
Partager les connaissances et les expertises pour mieux déterminer les choix dans un dialogue élus-habitants.
Intégrer les associations de l'environnement dans les discussions liées à l'éclairage extérieur (ANPCEN, FNE, LPO).
Comme la vision d'un beau paysage, l'observation du ciel étoilé est une source d'apaisement et d'invitation à la réflexion.
Pour les astronomes la pollution lumineuse perturbe les études scientifiques. La constellation de la Grande Ourse, visible en continu sous nos latitudes comprend jusqu'à 400 étoiles visibles à l’œil nu. Aujourd’hui, moins d'une centaine reste visible dans les zones les moins polluées de France, et moins d’une dizaine au centre des grandes villes.
Références :
(1) - Construire des indicateurs nationaux sur la pollution lumineuse Réflexion préliminaire, Romain SORDELLO, Clémentine AZAM, Jennifer AMSALLEM, Yves BAS,Lucille BILLON, Samuel BUSSON, Samuel CHALLEAT, Christian KERBIRIOU, Isabelle LE VIOL, Bastien NGUYEN DUY -BARDAKJI, Sébastien VAUCLAIR, Paul VERNY, Avril 2018-N°2018-107
(2) - Knop & all, 2017 Université de Bern
(3) - Empreinte lumineuse, trame nocturne et corridors noirs : quelques précisions. Samuel Challéat 1 janvier 2017